Carmen – Prosper Mérimée (2/2)

CarmenNe croyant pas devoir me formaliser du peu de cas qu’on avait paru faire de ma personne, je m’étendis sur l’herbe, et d’un air dégagé, je demandai à l’homme à l’espingole s’il n’avait pas un briquet sur lui. En même temps je tirais mon étui à cigares. L’inconnu, toujours sans parler, fouilla dans sa poche, prit son briquet, et s’empressa de me faire du feu. Evidemment il s’humanisait ; car il s’assit en face de moi, toutefois sans quitter son arme. Mon cigare allumé, je choisis le meilleur de ceux qui me restaient, et je lui demandais s’il fumait.

 

– Oui, monsieur, répondit-il. C’étaient les premiers mots qu’il faisait entendre, et je remarquai qu’il ne prononçait pas l’s à la manière andalouse, d’où je conclus que c’était un voyageur comme moins, moins archéologue seulement.

– Vous trouverez celui-ci assez bon, lui dis-je en lui présentant un véritable régalia de la Havane.

Il me fit une légère inclination de tête, alluma son cigare au mien, me remercia d’un autre signe de tête, puis se mit à fumer avec l’apparence d’un très vif plaisir.

– Ah ! s’écria-t-il en laissant échapper lentement sa première bouffée par la bouche et les narines, comme il y avait longtemps que je n’avais fumé !

En Espagne, un cigare donné et reçut établit des relations d’hospitalité, comme en Orient le partage du pain et du sel.

 

Déniché par Sarah Sauquet  (@SarahSauquet) – Membre du CSC

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