Ôde au cigare – par Tom Benoit

Jeune philosophe, Tom Benoit propose au Cigar Social Club ces quelques mots pour décrire l’instant que vit chaque amateur de cigare.

Le cigare correspond au premier abord à toutes les caractéristiques du vice, et pourtant, il est à classer parmi les plaisirs les plus loyaux ; ceux offrant ce que leur essence à de plus beau en elle, mais qui ne vous surtaxent pas par le manque.

Je ne connais aucun amateur de cigares respectable qui en fume pour combler un vide ! Personnellement, lorsque j’ai envie d’un cigare, généralement, je n’en allume pas ; une envie est nécessairement trop courte pour accompagner un cigare.

Ce que j’aime, ce sont ces instants durant lesquels l’occasion prête serment face à vous. Ça n’est pas forcément lié à la compagnie ; plutôt à ce que l’on a vécu l’instant passé – il faut être quelque peu troublé pour profiter d’un cigare !

L’année passée, alors que je terminais l’écriture d’Instinct mimétique et solitude asservie, je partis pour quelques jours à Rome. C’était au début du mois d’octobre, et un soir, je me trouvais seul après avoir dégusté des lasagnes en terrasse d’une brasserie faisant l’angle de la Place de la Gare de Termini. Je n’avais pas bu de vin à table ; pas envie, j’avais soif, j’avais marché toute la journée. Et puis tout ce qui a suivi s’est déroulé comme animé par le réflexe, par l’évidence – peut-être même par ce qu’il convient de qualifier comme étant le sublime ; la place qui m’entoure est allumée et semble immense, vide, recouverte d’un goudron qui n’est pas même abîmé par des tracés de circulation.

La musicalité de l’instant fut si axiomatique que je ne saurais pas énoncer si j’ai commencé par écrire ou si j’ai d’abord allumé le cubain que j’avais acheté l’après-midi. Ce qui est certain, c’est que, sans avoir réellement eu l’impression d’écrire ni même d’allumer un cigare, j’ai rédigé Les trois âges en matière d’amour – chapitre représentant certainement les plus belles pages du livre.

Je suis un romantique, un vrai, c’est-à-dire quelqu’un qui aime la primauté de la passion sur la raison pour dessiner le schéma sensuel d’une existence et que, parallèlement, la raison ne laisse jamais tranquille. Alors, naturellement, étant donné que j’aime l’excellence lorsqu’elle est parfumée d’évidence, j’aime les cigares qui arrivent par hasard.

Pour les vins, c’est un petit peu la même chose. J’ai dégusté les plus grands, pas tous évidemment mais, beaucoup, même trop ; jusqu’à en haïr certains verres. Pour autant, un soir, un ami a débouché un vin que je n’oublierai jamais ; une cuvée extraordinaire d’un domaine des Baux-de-Provence. La cuvée n’existe plus ! j’en avais acheté une caisse et, je n’en ai plus.

Les vins et les cigares ressemblent parfois à ces êtres ou à ces événements qui empoignent votre vie, qui vous prouvent le temps d’une respiration que tout ce que vous avez essayé jusqu’ici n’a eu lieu que pour en arriver là – en arriver à la rencontre, à l’accident !

Tom Benoit